Humoresques

L'invention de l'art populaire

Appel à contribution : L'invention de l'art populaire (1830-1870)
sous la direction de Michela Lo Feudo pour Bérose-Encyclopédie internationale des histoires de l'anthropologie.

Les propositions (1000 signes espaces compris) seront envoyées avec une courte fiche bio-bibliographique de l’auteur.e avant le 25 janvier 2023 à : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Calendrier des publications pour l’année 2023/24 : Réponse de la part du comité éditorial : février 2023 Remise des articles : 15 octobre 2023 Publication : avril 2024 Url de référence : https://www.berose.fr/

Bérose est une encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie. Doté d’un conseil scientifique
international, de dix-huit équipes de recherche et d’un réseau de contributeurs en expansion constante
provenant de tous les continents, Bérose est un projet d’humanités numériques en libre accès, partisan d’une science ouverte de qualité. Son site internet est navigable en français et en anglais. Éditeur scientifique (ISSN 2648-2770), Bérose publie régulièrement, tout au long de l’année, des articles encyclopédiques en plusieurs langues (français, anglais, espagnol, portugais et italien), qui ont fait l’objet d’une évaluation par les directeurs et le comité éditorial. Créé en 2006 par Claudie Voisenat (ministère de la culture, Héritages), Jean-Christophe Monferran (CNRS, Héritages), dirigé à partir de 2008 par Daniel Fabre (EHESS, IIAC-LAHIC), le programme est dirigé depuis novembre 2016 par Christine Laurière (CNRS, Héritages) et Frederico Delgado Rosa (Université NOVA de Lisbonne, CRIA).

Dans le cadre de ses activités éditoriales, Bérose lance un appel à contributions pour le thème de recherche
interdiciplinaire L’invention de l’art populaire (1830-1870), dirigé par Michela Lo Feudo (Università degli Studi di Napoli Federico II). Les langues de publication seront le français, l’anglais et l’italien.

Ce thème de recherche entend interroger l’émergence du débat autour de la notion d’art populaire avec
ses implications idéologiques, formelles et esthétiques dans le milieu artistique et culturel de la France
entre la Monarchie de Juillet et le Second Empire. Si l’ensemble des productions artistiques relevant de la
culture populaire existe certes avant le XIXe siècle, les études menées par Daniel Fabre montrent que, dans
la période située entre le post-romantisme et la première génération réaliste, ce vaste champ hétéroclite
commence à catalyser, de manière inédite, l’intérêt d’un certain nombre d’auteurs exprimant l’émergence
d’une nouvelle sensibilité. Autour d’eux, prend pied un réseau d’échanges intellectuels qui mérite d’être
creusé, un réseau susceptible, d’un côté, de discuter les hiérarchies esthétiques dominantes ; de l’autre,
d’alimenter un moment de réflexion théorique important pour le développement de savoirs
ethnographiques qui seront de plus en plus structurés les décennies suivantes autour des notions de folklore, de peuple, de primitif, d’enfantin, de nation, de tradition, d’arts et traditions populaires, de culture
matérielle, de techniques traditionnelles à partir des travaux de la génération de savants nés sous la
Troisième République dont Van Gennep, Patrice Coirault et Paul Delarue, par exemple.

Dans cette perspective, on peut constater que la monarchie de Juillet se donne à lire comme la première
grande époque où l’observation sociale envahit simultanément les domaines politiques et artistico-intellectuels qui se font écho mutuellement. D’une part, on essaie de systématiser des enquêtes empiriques
institutionnelles coordonnées par l’Académie des sciences morales et politiques à des fins essentiellement
administratives et de sécurité portant sur la pauvreté, sur l’éducation, sur les conditions de la classe ouvrière
etc. ; d’autre part, une véritable culture de l’enquête commence à prendre pied à travers les écrits littéraires
et journalistiques diffusés surtout par la presse périodique (Kalifa : 2010 ; Thérenty : 2017 J. Lyon-Caen :
2017).
Dans ce panorama centrifuge et changeant, des artistes (le terme est à entendre dans la continuité de son
ample acception romantique incluant des créateurs visuels, littéraires, relevant des arts, de la musique et du
spectacle) commencent à s’interroger de façon approfondie sur les formes relevant de l’art populaire : ils
s’engagent à la fois par la théorie et par la pratique, à travers des écrits, des tableaux, des dessins ou des
estampes, des compositions musicales ou des performances théâtrales. Visant à l’union des arts, Eugène
Delacroix, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, George Sand, Jules Champfleury, Frédéric Chopin, Franz Liszt
par exemple (la liste n’est aucunement exhaustive), voient dans la définition d’art populaire – le passage du
pluriel au singulier est digne d’attention – une tentative de délimitation d’un domaine de recherche à
légitimer et enrichir à des fins artistiques (Fabre : 2009).
Amplifié par l’échec de la Deuxième République et par l’instauration de l’Empire de Napoléon III,
l’engagement de certains auteurs formés dans le milieu post-romantique et républicain se développe dans
une perspective réaliste. Les recherches menées par George Sand, Gustave Courbet, Jules Champfleury, Max
Buchon et par Edmond Duranty en art visuel et en littérature montrent, en effet, que la remise en cause des
hiérarchies artistiques passe par un renouvellement de la notion elle-même de mimèsis visant à assimiler
codes visuels et stratégies narratives inspirés par les cultures non légitimées (Privat : 2017 ; Lo Feudo : 2021).
Si elle produit un véritable « tournant » dans l’histoire des savoirs ethnographiques (Scarpa ; Fabre (dir.) :
2017), il s’agit d’interroger davantage la présence de cette « ethnologie spontanée » (Fabre : 2004, ds Scarpa
: 2017) avec ses acteurs, ses démarches, ses résultats et ses limites dans une perspective historique, tout en
essayant de la situer dans une époque où les projets créateurs associés à cette mouvance dialoguent – de
manière souvent problématique – avec les notions telles que « philologie », « objet », « évolution ».
Or, le corpus qui nourrit cette réflexion est varié et difficile à cerner. Il échappe aux acteurs du débat euxmêmes. En effet, il réunit des formes, des artefacts, relevant à la fois de la culture matérielle et d’enjeux de type esthétique : faïences, enseignes, estampes, imagerie d’Épinal, chansons populaires, dessins d’enfants, etc., constituent un ensemble mouvant qui fait émerger un questionnement sur l’ « autre de l’art » dont il est utile d’explorer davantage les spécificités, dans la continuité des intuitions de Daniel Fabre. Il s’agit d’un sujet d’autant plus intrigant que les productions de territoires marginalisés ou lointains tels que les provinces de France ou le Nouveau Monde (Fabre : 2006) et d’époques révolues sont prises en considération par ces auteurs aussi bien que des formes expressives contemporaines, fruit d’une culture urbaine ‟mineure” en expansion telles que le journalisme, la caricature ou la pantomime (Lo Feudo : 2013). Elles relèvent d’une réflexion qui inclut l’art populaire des villes avec ses bas-fonds (Kalifa : 2013), un art qui s’inscrit dans la continuité du processus de démocratisation de la culture inauguré par la Révolution française tout en se prolongeant dans les transformations du champ culturel liées à la diffusion de médias de masse et de l’art industriel.

Ce thème de recherche sollicite et présente des études portant en particulier sur :
– la notion d’art populaire en tant que thème historiquement situé : artistes, genres, formes et espaces
(géographiques et sociaux) envisagés ici pour leur valeur heuristique et non seulement dans une perspective
d’histoire de l’art ;
– les artistes et les intellectuels ayant alimenté la réflexion sur la notion elle-même, leur contribution
méthodologique et théorique dans le cadre du débat français et européen de l’époque ;
– les échanges entre écrivains, artistes, savants, collectionneurs, imagiers, voyageurs autour du sujet ;
– le dialogue entre art populaire et poétiques expérimentales : intersections entre formes non légitimées et
productions littéraires et artistiques innovantes (l’art populaire en tant que tremplin, repoussoir, etc.) ;
– le problème de la représentation visuelle et textuelle des mœurs à l’époque réaliste ;
– l’art populaire dans ses rapports avec la construction des savoirs ethnographiques au XIXe siècle à partir de la relation avec d’autres notions-clés telles que : enquête, philologie, objet (conçu dans sa dimension
matérielle et esthétique), témoin, etc.

Références bibliographiques citées :
Fabre, Daniel, « L’effet Catlin », Gradhiva, 3, 2006, pp. 55-75 : http://journals.openedition.org/gradhiva/194
Fabre, Daniel, « “C’est de l’art ! ” : Le peuple, le primitif, l’enfant », Gradhiva, 9, 2009, pp. 4-37 :
http://journals.openedition.org/gradhiva/1343
Fabre, Daniel & et Jean-Marie privat (dir.), Savoirs romantique. Une naissance de l’ethnologie, Presses
Universitaires de Nancy, 2020.
Fabre, Daniel, « D’une ethnologie romantique », in Savoirs romantiques, op. cit., 2020, pp. 5-75.
Kalifa, Dominique, « Enquête et “culture de l’enquête” au XIXe siècle », Romantisme, 2010, n° 149, pp. 3-23
: https://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-3-page-3.htm
Kalifa, Dominique, Les bas-fonds : histoire d’un imaginaire, Paris, Éd. du Seuil, 2013.
Lyon-Caen, Judith, « Enquêtes, littérature et savoir sur le monde social en France dans les années 1840 », in
Le moment réaliste, op. cit., pp. 31-58.
Lo Feudo, Michela, « “Égyptiens” aux Funambules. Les pantomimes de Champfleury entre hiéroglyphes et
arts populaires », in G. Chamarat et P.-J. Dufief (dir.), Le Réalisme et ses paradoxes (1850-1900). Mélanges
offerts à Jean-Louis Cabanès, Paris, Classiques Garnier, 2013, pp. 157-169.
Lo Feudo, Michela, « Champfleury écrivain et la caricature. Éléments pour une poétique du trait », Fabula /
Les colloques, Littérature et caricature (XIXe-XXIe siècles), Textes réunis par A. de Chaisemartin et S. Le Men
https://www.fabula.org/colloques/document6886.php
Privat, Jean-Marie, « La Mare au diable ou comment “faire le populaire” », in Savoirs romantiques, op. cit.,
pp. 257-289.
Scarpa, Marie et Daniel Fabre (dir.), Le Moment réaliste. Un tournant de l’ethnologie, PUN, 2017.
Scarpa, Marie, « D’une ethnologie réaliste », in Le moment réaliste, op. cit., pp. 7-28.
Thérenty, Marie-Ève, « “Choses vues”, corps impressionnés au XIXe siècle. Du journal au roman », in Le
moment réaliste, op. cit., pp. 59-73.