Humoresques

Jewish Humor

images/BIB-Jewish humour-200.jpgArie Sover, Jewish Humor. An outcome of Historical Experience, Survival and Wisdom. Cambridge Scolars Publishing, 2021, 323p.

 Mots-clés : Humour juif, Histoire, israël, Etats-Unis, Europe

 

 Bien sûr, les lecteurs et chercheurs francophones disposent de l'ouvrage majeur de Judith Stora-Sandor intitulé L'humour juif dans la littérature de Job à Woody Allen ( Presses Universitaires de France, 1984). Toutefois, confirmant son importance, l'humour juif compte de nombreuses publications en France depuis le milieu du XXème siècle,

le plus souvent des anthologies d'histoires drôles, dont on retiendra l'énorme compilation de La Bible de l'humour juif, de Marc-Alain 0uaknin en collaboration avec D. Rotnemer (éd. Ramsay,1995 ; éd. J'ai lu, 2002 ; édition refondue Michel Lafon, 2012). La présentation thématique de ce recueil de plaisanteries permet de saisir certains traits propres à la culture juive, mais avec l'étude d'Arie Sover, c'est une vaste fresque de l'histoire du peuple juif qui dévoile l'historicité de ces plaisanteries typiques. Le champ couvert s'étend de la période biblique à nos jours et comprend un large éventail de styles qui s'expriment dans divers domaines, tels que le Talmud, la poésie, la littérature, le folklore, les blagues, les films et les séries télévisées. Le livre se concentre sur trois régions socio-géographiques où l'humour d'un peuple a été créé, s'est développé et a prospéré : l'Europe de l'Est, les États-Unis et Israël.

 

L'humour est intimement lié à la réalité et aux expériences de vie de ceux qui le produisent et l'apprécient. Par conséquent, comme le signale son auteur, pour atteindre les racines créatives de cet humour si original, il était nécessaire de se référer à la vie juive à travers son histoire et en particulier sur les événements clés et dramatiques de son développement dominé par l'antisémitisme dont les manifestations sont présentées et rappelées avec précision.

 

Remontant aux sources de l'humour juif avec la Bible, l'auteur nous rappelle la singularité d'une religion où l'humanité entretient un dialogue critique avec son Créateur. Cette capacité critique demeure constitutive de la structure cognitive de l'humour juif jusqu'à l'époque actuelle. L'interprétation des textes bibliques (Midrash, Mishna, le Talmud) témoigne de la multitude des débats possibles où prennent place des récits facétieux au profit de la loi énoncée par les rabbins.

 

La culture populaire compte des figures comiques, telle le badchen, qui anime les fêtes de mariage, mais c'est au XIXème siècle qu'apparaît en Europe centrale le plus fameux personnage de l'humour juif, le Schlemiel, celui à qui rien ne réussit. Ce personnage se retrouve dans de nombreux livres et films (Y. L. Peretz, Sholem Aleichem, Isaac Bashevis Singer, Bernard Malamud, Saul Bellow, Philip Roth et bien d'autres).

 

Les formes fondamentales de l'humour juif moderne avec l'esprit critique et l'auto-ironie prennent forme entre le XVIIIème et le XIXème siècle. Les débuts d'une littérature humoristique moderne est pour l'essentiel écrite en Yiddish, la langue des juifs d'Europe orientale, mais souvent aussi dans la langue des pays de résidence. Une première génération est associée à la Haskalah – un courant de pensée influencé par le mouvement des Lumières- qui compte Heinrich Heine. Une deuxième génération comprend Abraham Goldfaden, le Shakespeare juif et surtout Sholem Aleichem tenu pour le plus grand écrivain humoriste juif. Une troisième génération se situe entre les deux guerres mondiales avec Franz Kafka dont les œuvres sont empreintes d'absurdité, d'ironie et d'incongruité ou encore Isaac Babel.

 

L'émigration de plus de deux millions d'immigrés juifs aux États-Unis à la fin du XIXème siècle jusqu'au début du vingtième siècle a introduit avec elle sa culture humoristique en direction d'un public non-juif. La vie des familles juives en quête d'assimilation a cependant donné lieu à deux types de plaisanteries critiques : la mère juive abusive qui surprotège ses enfants et la princesse juive américaine (Jewish American Princess), celle qui ne sait rien faire sans l'argent de son père.

 

Le Schlemiel demeure une figure familière centrale des sketchs comiques comme ceux très célèbres de Jerry Seinfeld à la télévision. La littérature comique américaine compte de nombreux auteurs juifs dont Isaac Bashevis Singer (prix Nobel en 1978), Leo Calvin Rosten, Bernard Malamud, Saul Bellow, Philip Milton Roth. Une jeune génération s'oriente plus vers la satire : Gary Shteyngart, Lara Vapnyar, Jonathan Safran Foer.

 

Le grand intérêt du livre d'Arie Sover tient en outre à son actualisation. L'humour juif aux États-Unis se distingue par les brassages de populations d'origines et de croyances particulières, mais encore plus en Israël où l'humour est principalement très satirique et variable selon les événements politiques. Une analyse détaillée présente ces formes satiriques au théâtre, dans la presse, à la radio, au cinéma, à la télévision. Cet humour satirique est aussi présent dans la littérature israélienne, représentée par Shmuel Yosef Agnon, Ephraim Kishon, A. B. Yehoshua, Haim Beer, Meir Shalev, Etgar Keret. Enfin l'auteur évoque quelques plaisanteries fondées sur les stéréotypes qui caractérisent habituellement partout dans le monde les groupes ethniques ( polonais, roumains, iraniens, marocains géorgiens, russes, arabes) et qui montrent que l'humour en Israël s'accommode de variantes empruntées ailleurs.

 

Enfin, écrit dans un anglais classique, l'ouvrage ne pose pas de problème particulier de lecture, contrairement à certains ouvrages américains ou anglais aux effets de style qui rebutent le lecteur non angliciste.