Humoresques

Gus Bofa

images/Bofa toubibs_30sept  2014_300.jpgGus Bofa, Chez les toubibs, Paris, éditions Cornélius, 2014, 30€.

 

mot-clé : Gus Bofa, Guerre de 1914-1918, humour graphique.

Dans la catastrophe de cette première guerre mondiale où Bofa fut grièvement blessé dès les premiers mois, c'est toute une génération de jeunes hommes qui a été sacrifiée, en particulier par des services sanitaires inhumains. Bofa a eu le temps d'observer et de vivre dans sa chair ce moment d'extrême violence. L'humour noir le dispute au pathétique, un univers de dessins -dont nombre d'inédits- qui propose une lecture lucide du désastre.

"Avec la publication de Chez les Toubibs. Cornélius poursuit son exceptionnel travail de réédition de l’œuvre de Gus Bofa

 Le 7 décembre 1914, lors d’une patrouille dans le secteur du Bois-le-Prêtre, le soldat Gustave Blanchot est fauché par un tir de mitrailleuse allemande. Grièvement blessé aux jambes, Gus Bofa refuse de laisser les médecins le « couper ». Il préfère mourir avec ses deux jambes que d’envisager la vie d’un amputé.

 Sauvé par un chirurgien compétent, le docteur Pillon, il commence un long chemin de la Croix Rouge, qui durera trois ans. D’une ville l’autre, d’un traitement l’autre, il endure la promiscuité de l’hôpital jusqu’à sa démobilisation en novembre 1915.

 Deux ans plus tard, soutenu par deux béquilles, il s’offre le luxe de dénoncer, en plein conflit et malgré la censure, le sort des malheureux tombés entre les mains d’un service de santé, peu ou pas préparé à la guerre.

 Chez les Toubibs constitue d’abord un témoignage unique en son genre. Bofa se dessine lui-même, blessé parmi les autres. Ce qu’il raconte ici, c’est ce qu’il a vécu : la peur, la solitude, la honte, la souffrance. A l’armée il n’était plus qu’un numéro matricule ; à l’hôpital, il n’est plus qu’un cas médical. Et ses impressions de l’univers hospitalier confirment celles de Blaise Cendrars, Louis-Ferdinand Céline ou Léon Werth.

 Mais cet album est aussi un pamphlet féroce, que Roland Dorgelès qualifie de « béquille lancée dans les jambes des majors ». Bofa  décrit, avec une colère froide, refusant tout pathos, le quotidien des hôpitaux militaires, univers absurde, où l’on rafistole le bétail humain pour le renvoyer à l’abattoir. Et les appareils de l’électrothérapeute ou du mécanothérapeute n’ont rien à envier à la machine à décerveler du Père Ubu.

Loin du cliché des infirmières sémillantes et des chirurgiens dévoués, Bofa décrit un système qui transforme les blessés en cobayes livrés à l’arbitraire des majors et la malhonnêteté des infirmiers. Cynisme ou indifférence, les toubibs refusent d’avouer  leur faillite et se comportent en auxiliaires zélés de la grande machine à tuer.

Cette nouvelle édition, la première depuis l’originale, comporte les dessins interdits par la censure, ceux pré-publiés dans La Baïonnette, des inédits en couleurs, et  bien d’autres surprises. Ainsi revue et corrigée, elle est sans doute plus proche du livre qu’envisageait Bofa que ne l’était l’édition originale.

 Et elle fait entendre, dans le concert des commémorations, la petite musique, dissonante et salutaire, de Gus Bofa, rescapé de la Grande Farce." (Emmanuel Pollaud-Dulian)