Humoresques

Warai. L'humour dans l'art japonais

images/stories/Ouvrages_Bib/warai_300.jpgWarai. L'humour dans l'art japonais de la préhistoire au XIXe siècle. Catalogue de l'exposition présentée à la Maison de la culture du Japon à Paris du 3 octobre au 15 décembre 2012,  Paris, MCJP, 2012, 142 pages, très nombreuses illustrations. 27€.

mot-clé: Japon, Warai

Après trois textes de spécialistes Le catalogue reprend la présentation de l'exposition avec une riche iconographie.
Yûji Yamashita, conseiller scien­ti­fi­que de l’expo­si­tion et pro­fes­seur à l’Université Meiji Gakuin
Mami Hirose, com­mis­saire de l’expo­si­tion et senior consul­tant au Mori Art Museum


- Le rire de l'art japonais à Paris- Yamashita Yûji
- Dieux et Bouddhas rieurs au Japon - Yajima Arata
- La face cachée : rire et transgression dans les arts du Japon - François Lachaud.

 

- Archéologie du rire : Dogû et Haniwa
- Le rire mis en scène
- Regards sur les animaux
-Dieux et Bouddhas rieurs

En Occident, l’art japo­nais tra­di­tion­nel est sou­vent asso­cié à la spi­ri­tua­lité zen ou à l’audace gra­phi­que de l’école Rimpa et des estam­pes, beau­coup plus rare­ment à l’humour. Pourtant, il existe bel et bien une culture du rire pro­pre au Japon comme en témoi­gne la cen­taine d’œuvres de cette expo­si­tion·: figu­ri­nes pré­his­to­ri­ques, rou­leaux peints, estam­pes, ima­ges popu­lai­res, pein­tu­res zen, sculp­tu­res boud­dhi­ques… Elles nous invi­tent à explo­rer les diver­ses méta­mor­pho­ses de la notion de warai – tra­duite par «·rire·» ou «·sou­rire·» – dans les arts de l’Archipel. De la pré­his­toire au seuil de l’ère moderne, avec un accent par­ti­cu­lier mis sur l’époque Edo (1603-1868), les piè­ces pré­sen­tées nous per­met­tent, grâce à leur diver­sité de sty­les et de tech­ni­ques, de por­ter un regard nou­veau sur l’art japo­nais. (L’expo­si­tion WARAI reprend la struc­ture de l’expo­si­tion The Smile in Japanese Art orga­ni­sée en 2007 au Mori Art Museum de Tôkyô. Elle est pré­sen­tée à l’occa­sion du 15e anni­ver­saire de la Maison de la culture du Japon à Paris et du 40e anni­ver­saire de la Fondation du Japon).

Archéologie du rire – Dogû et haniwa

L’expo­si­tion s’ouvre sur les visa­ges sou­riants de Dogû en terre cuite vieilles de 3 à 4 000 ans. Peut-on cepen­dant affir­mer que les expres­sions dis­crè­tes et gra­cieu­ses de ces pote­ries de l’époque Jômon expri­ment vrai­ment la joie·? Ne serait-ce pas plu­tôt nous qui vou­lons y voir des sou­ri­res·?
Plus tard, à l’époque des ter­tres funé­rai­res (IIIe-VIIe siè­cle), appa­rais­sent des rires plus francs sur cer­tai­nes figu­ri­nes tubu­lai­res haniwa qui ornaient les tom­bes des puis­sants. Les expres­sions jovia­les, par­fois sar­do­ni­ques, des ter­res cui­tes figu­rant des guer­riers et des pay­sans sem­blent inten­tion­nel­les·: leurs rica­ne­ments avaient sans doute pour fonc­tion d’éloigner les esprits mal­fai­sants et d’effrayer les pillards. Ainsi, au Japon, la repré­sen­ta­tion du rire trouve son ori­gine dans les temps les plus anciens.

Haniwa au bouclier, Honjo-city Board of Education

Le rire mis en scène

Rouleau de la bataille des pets (détail), Kawanabe Kyôsai, 1867 © Kawanabe Kyosai Memorial Museum

L’intro­duc­tion du boud­dhisme au VIe siè­cle au Japon s’accom­pa­gne de la pro­pa­ga­tion de l’art chi­nois. Réaliste et aus­tère à ses débuts, l’art boud­dhi­que de l’Archipel va pren­dre une tour­nure plus «·japo­naise·» au fil des siè­cles. Ce pro­ces­sus donne nais­sance à des repré­sen­ta­tions de saints hom­mes ou de poè­tes chi­nois au visage sou­riant qui exal­tent les valeurs de la déri­sion.

 
Graffiti sur les murs du magasin aux trésors, détail de la feuille centrale d'un triptyque, Utagawa Kuniyoshi
Du Moyen Âge à l’époque moderne sont réa­li­sées une pro­fu­sion d’œuvres riches d’éléments nar­ra­tifs, au style plus popu­laire. Le Rouleau peint de l’his­toire de l’île arti­fi­cielle est carac­té­ris­ti­que de ce nou­vel art reli­gieux empreint d’humour naïf. Imagerie issue de la «·reli­gion popu­laire·», les «·Ôtsu-e » repré­sen­tent des démons pre­nant un bain ou effrayés par une sou­ris, un chat ivre… Ces pein­tu­res de fabri­ca­tion rapide étaient ven­dues comme sou­ve­nirs aux voya­geurs dès le XVIIe siè­cle.
Artistes majeurs de la fin du sho­gou­nat d’Edo, Utagawa Kuniyoshi et Kawanabe Kyôsai pro­dui­si­rent quant à eux

d’innom­bra­bles cari­ca­tu­res et pein­tu­res sati­ri­ques dans les­quel­les ils se moquent du gou­ver­ne­ment ou dépei­gnent une époque trou­blée.

 

Regards sur les ani­maux

Crapaud, Matsumoto Hôji, collection particulièreÔtsu-e, Démon et souris tenant du houx, Otsu City Museum of History
Dans l’art japo­nais, les expres­sions comi­ques des ani­maux sin­geant les humains sus­ci­tent le rire depuis les célè­bres rou­leaux du XIIe siè­cle. Ce pro­cédé de per­son­ni­fi­ca­tion a plus tard été repris par Soga Shôhaku, Nagasawa Rosetsu, Mori Sosen et d’autres pein­tres de Kyôto actifs au XVIIIe siè­cle qui nous ont laissé des pein­tu­res ani­ma­liè­res plei­nes d’humour, à la tech­ni­que incom­pa­ra­ble.
Derrière l’aspect cocasse ou mignon de ces bêtes se cache par­fois l’expres­sion d’une cri­ti­que mor­dante de la société et du pou­voir. Ce type d’œuvres paro­di­ques est en effet un moyen pri­vi­lé­gié pour contour­ner la sévère cen­sure. L’ani­mal rend pos­si­ble le ren­ver­se­ment des hié­rar­chies, la mise en cause radi­cale des conven­tions, l’expres­sion du ridi­cule des com­por­te­ments humains.
Toutefois, le point com­mun de ces artis­tes est leur pro­fonde affec­tion pour les ani­maux qui trans­pa­rait dans leurs œuvres.

 

 

 Dieux et boud­dhas rieurs

Moines mendiants, Nantembô 1924 Collection particulière
Très popu­lai­res à l’époque Edo, les Sept Dieux du Bonheur mêlent dans leurs ori­gi­nes la reli­gion locale japo­naise, le boud­dhisme ou encore le taoïsme. Représentés sous des for­mes gro­tes­ques, ils n’ont rien de sublime. Avec leur appa­rence irréa­liste qui sus­cite le rire, ils étaient cen­sés appor­ter à tous la bonne for­tune.
Les reli­gieux de l’époque Edo uti­li­saient les pein­tu­res humo­ris­ti­ques pour l’édification du peu­ple. Hakuin, qui a redonné vie à la secte zen Rinzai, a peint dans son style de dilet­tante de nom­breu­ses divi­ni­tés qui cons­ti­tuent des ser­mons en image. Le warai, chez ce moine-pein­tre, ren­voie à une réflexion pro­fonde sur les conven­tions, les codes et leur dépas­se­ment.
Contemporains de Hakuin, les moi­nes Enkû et Mokujiki consi­dé­raient la sculp­ture de sta­tues de Bouddha comme une par­tie inté­grante de leurs exer­ci­ces ascé­ti­ques. Ils ont sculpté dans le bois des mil­liers de sta­tues naï­ves dont les «·sou­ri­res archaï­ques·» ne sont pas sans rap­pe­ler ceux des haniwa.


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