Humoresques

L'art de la grimace

images/stories/Ouvrages_Bib/gudron1_300.jpgMartial Guédron, L'art de la grimace. Cinq siècles d'excès de visage. Paris, Hazan, 2011, 320 p., 35 euros.


mot clé : grimace, histoire de l'art

Les précédents travaux de l’auteur portaient, d’une part, sur l’image satirique et la caricature, de l’autre, sur les codes et les conventions académiques régissant les représentations de la figure humaine. Or il semble bien qu’il se soit occupé ici de confronter ces deux domaines. Ne serait-ce qu’en feuilletant cet ouvrage abondamment illustré,

le lecteur pourra très rapidement se faire une idée de l’importance de la grimace comme motif pour de nombreux artistes. En le lisant, il comprendra qu’elle constitue aussi un thème de réflexion récurrent pour les critiques et les théoriciens de l’art. Ainsi, L’art de la grimace établit une étonnante généalogie des représentations des expressions hors normes et inconvenantes depuis la Renaissance, une période à partir de laquelle les visages gagnent en individualité dans les arts figurés et où sont publiés les premiers traités théoriques rédigés par des artistes. L’auteur avait déjà étudié les liens entre la physiognomonie et les arts visuels, en centrant plutôt l’attention sur l’enseignement artistique.

images/stories/Ouvrages_Bib/boilly gudron_300.jpg Louis Léopold Boilly, Etude de trente-cinq têtes d'expression, vers 1825.

Cette fois, il entend démontrer que l'histoire des passions ne concerne pas seulement les expressions contrôlées, mais aussi celles qui recouvrent deux types d’écarts fondamentaux : écart contre les règles de conduite et de bienséance, écart contre les règles de beauté qui ont longtemps rimé avec le contrôle émotif et la convenance. S’il choisit de montrer des filiations sur le long terme, le cœur de l’ouvrage est consacré à la période qui s’étend de la fin du XVIIIe siècle au Romantisme : « […] à l’idéal du stoïcisme et de la calme grandeur s’oppose, dès le tournant des Lumières, un intérêt pour l’individuel, l’étrange, le grotesque et le caricatural, lit-on dans l’introduction. D’un côté, des savants entreprennent d’étudier les rapports du moral et du physique de l’homme, d’en analyser les flux d’énergie et leurs conséquences sur la plasticité du corps.

images/stories/Ouvrages_Bib/gudron 3_300.jpg Franz Xaver Messerschmidt, Le Bâilleur, vers 1770.

De l’autre, contre la conformité aux règles qui aboutit à l’inexpressif, des artistes prennent le parti, presque un siècle avant Rimbaud, du violent Paradis de la grimace enragée ». Ainsi, au delà d’une enquête relevant de l’Histoire de l’art, cette galerie de visages en infraction, où nous croisons, parmi d’autres, Léonard de Vinci, Caravage, Messerschmidt, Goya, Lequeu, Boilly, Daumier, Duchamp et même Francis Bacon, est aussi une contribution à l’histoire de la liberté d’expression d’où émerge une conception des rapports du physique au moral dont l'époque contemporaine paraît largement tributaire. (M.G.)

La question de la grimace ouvre sur bien des interrogations quant aux marges de l'expressivité. L'ouvrage somptueusement illustré étend son parcours sur 5 siècles et propose de la sorte un vaste assortiment des interprétations successives qui s'attachent à définir cette manifestation corporelle. Du masque aux jeux les plus contemporains avec la figure dévisagée d'un Francis Bacon  par exemple, il s'agit de tracer les lignes de force qui donnent sens à ces variations morphologiques. De l'auteur, professeur d'histoire de l'art à l'Université de Strasbourg, on connaît déjà les travaux sur les représentations du corps humain ainsi que sa collaboration avec Laurent Baridon à une magistrale histoire de la caricature dans les arts chez Citadelles et Mazenod (2007). (Nelly Feuerhahn)