Humoresques

Bêtes de pouvoir

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Guillaume Doizy et Jacky Houdré,
Bêtes de pouvoir. caricatures du XVIe siècle à nos jours. Paris, Nouveau Monde éditions, 2010, 530 ill.258 pages, 35 €..

Mot Clé : caricature politique, animalisation

Cet ouvrage porte sur l’animalisation dans la caricature politique depuis le XVIe siècle. Sans prétention savante, il s’intéresse à ce procédé métaphorique dont s’est emparée la caricature moderne.

Dès les débuts de la Réforme les deux camps en présence instrumentalisent le bois gravé satirique pour accompagner le déferlement de libelles propagandistes. Inspirés par la langue très imagée et très virulente de Luther, les dessinateurs (et Lucas Cranach en premier lieu) réformés notamment ont tôt fait de transformer leurs cibles en ânes, en diables, en veaux, en monstres zoomorphes, inscrivant leur pas dans la tradition médiévale, mais donnant à ce procédé de zoomorphisation un caractère militant, politique et même guerrier inédit.

Depuis cette époque, les auteurs d’images satiriques puis de dessins de presse à partir du XIXe siècle n’ont pas manqué (sauf de très rares exceptions) de recourir à ce procédé particulièrement efficace et d’une très grande richesse visuelle. Depuis longtemps l’humanité pensante se compare au monde animal : mythes et religions, légendes et fables, métaphores et proverbes trouvent dans le bestiaire une source d’inspiration inépuisable permettant de nous définir en tant qu’hommes. Source d’inspiration sans cesse renouvelée par les découvertes scientifiques, mais également l’évolution de notre rapport social aux animaux (attrait du XIXe siècle pour le naturalisme, la zoologie, engouement de plus en plus généralisé pour les animaux de compagnie, etc).

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Dessin de Large, Siné-Hebdo, n°73, 27.1.2010.

 

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dessin de Thomas Rowlandson, "The Corsican spider in his web", 1808.

En introduction, l’ouvrage propose un petit historique du procédé en évoquant quelques épisodes marquants de l’histoire de la caricature en rapport avec la question animale depuis les guerres de religion pour conclure sur la très grande actualité du procédé. La bestialisation positive ou dégradante reste en effet omniprésente dans l’outillage graphique des dessinateurs et sa réception parfois délicate. Il suffit d’évoquer l’Affaire des caricatures dites de Mahomet et les images ajoutées au dossier diffusé par quelques intégristes danois dans les pays « musulmans ». Ces images qui n’avaient pas été publiées par le Jyllands Posten relevaient pour plusieurs d’entres elles du procédé de l’animalisation : photo d’un participant au cri de cochon, musulman en position de se faire sodomiser par un chien, « Mahomet » diabolisé avec des cornes et une queue, etc. En Allemagne dans les années 1980, le dessinateur Rainer Hachfeld a été condamné pour avoir porcisé un dirigeant régional. En France, c’est le dessinateur Placid qui fait  les frais de la justice, pour la publication d’une illustration montrant un policier aux traits légèrement porcins là encore.

Après une introduction de quelques dizaines de pages, l’ouvrage traite de l’utilisation par la caricature d’une soixantaine d’animaux classés par ordre alphabétique. Pour chaque animal, plusieurs images satiriques (gravures, dessins de presse, feuilles volantes, cartes postales illustrées, …) distribuées chronologiquement. En parallèle, une évocation des différents symboles en jeu, une conceptualisation des images, un décryptage des permanences ou des évolutions dans la manière d’instrumentaliser les qualités physiologiques ou symboliques de tel ou tel bébête. Avec la volonté d’évoquer des animaux tombés en désuétude ou au contraire d’apparition récente dans le bestiaire caricatural, et d’expliquer pourquoi le porc et le chien ont le plus inspiré les dessinateurs dans ce jeu de transposition métaphorico-zoomorphique.

Guillaume Doizy et Jacky Houdré
voir le site: www.caricaturesetcaricature.com

La puissance agressive du registre animalier de la caricature est surprenante. A l'opposé, dans l'univers des productions poétiques ou enfantines, une richesse non moins grande existe au service d'envolées libératrices, de projections protectrices. L'innocence est à l'oeuvre dans les choix des artistes, où rares sont les auteurs comme Tomi Ungerer à choisir des animaux mal considéres (le pithon par exemple) comme héros de ses albums pour enfants. Pourtant, parmi les nombreuses  images de cet ouvrage passionnant se trouve une caricature du communiste Duclos en rouge-gorge imaginée par l'anti-communiste Sennep qui a tout d'une illustration pour la jeunesse...On est loin du marxiste au couteau entre les dents!
Nelly Feuerhahn

images/stories/Ouvrages_Bib/doizy2_300"Le rouge-gorge" (Jacques Duclos) par J. Sennep, Bref, 13.4.1946.