Humoresques

Petit abécédaire du rire

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Claude Meunier, Petit abécédaire du rire et de ses environs. Paris, Seuil, 2011.

Aux amateurs de bons mots, plaisanteries et anecdotes loufoques, grivoises ou érudites. Aux amateurs de dessins d'humour, l'auteur rappelle la mort de Chaval -soigneusement orchestrée et respectueuse des voisins- ou encore reproduit le dessin que Bosc avait souhaité voir gravé sur sa tombe. Dans lire la suite l'avis d'Etienne Cornevin.

Mot-clé: plaisanterie, anecdote

Petit ABÉCÉDAIRE du RIRE et de ses environs

Veuillez lire attentivement l’intégralité de cette notice avant de prendre ce médicament,
et gardez-la (la notice, le médicament peut être refilé à un autre malade après usage),
vous pourriez avoir besoin de la relire

1. Qu’est-ce que le petit abécédaire du rire et de ses environs, de Claude Meunier ?

un euphorisant intelligent, zigométalangagique,
anti-dépresseur et même anti-dédépresseur
garanti 0% de matière chimique et de matière grasse
82 % de légèreté  et 24,8 % de profondeur
recommandé aux mélancoliques  assez légers et portés sur la lecture
ce médicament  en forme de livre – mais où les laboratoires vont-ils chercher de telles idées ?
-  est tout particulièrement  indiqué pour les psychonévrosés qui aiment :

Raymond Queneau de C comme Chiendent à M comme Morale élémentaire en passant par Z comme Zazigs-zags, H comme Krapock et Bolucra, B comme Balanovitch, Blondin et Breton, ou G comme Gide alias Mauriac  (ilziaprandronkilsondé « quenouillards », en double file à l’anglaise, sans doute)
la rue Watt
Cami
, du Petit Corbillard illustré aux Farfelus
Jean Dupuy, alias Ypudu, prophète du « fun » dans l’art qui fait que la vie est plus intéressante que l’art
Dotremont qui n’en poumait plus
les gens vus, fêlés divers, cinoques de café, de quartier ou du cercle familial
le burlesque dans la vie
le « calembourdisme débile » (dixit Scut)
la mort de rire de Marcel Duchamp relisant – aux cabinets – Allais dans l’édition Caradec
les oulipoteries et les oulipotiers
André Frédérique Delteil Rossini Stendhal Fargue Perec Bukowski Henri Calet
faire des listes, des collections de choses singulières, comme les mots en –cule, les mots en –istan, les abréviations , …
immortaliser des incongruités calamiteuses, « histoires drôles » ou « histoires vraies », les plus drôles étant les plus vraies même quand elles ne le sont que très modérément
retrouver des vérités fondamentales oubliées par les biologistes ou par les historiens (le mérou est appelé populairement mouton des mers car la peau de mérou s’tond ; Napoléon est mort du coup dans le bidon donné par son fils Léon)
célébrer ce et ceux qu’on aime, qu’on a aimé
citer ce qu’on aurait aimé avoir dit ou écrit, ou ce qu’on n’aurait jamais cru possible
néologisehr néolokhéopser néoloképhrener néolomykhérinoser, par exemple en proposant des promotions euphémistiques de certains noms de rues parisiennes (la transformation de la rue Juliette Dodu en Rue de la Surcharge Pondérale de Juliette procurera à la Vice Présidente de l’Association des Amis de Valentin Brû le plaisir délicat et bon marché d’un déménagement instantané et immobile)
essayer de comprendre d’où viennent certaines étranges expressions, comme « rue des Reculettes »« pecques », « Nono et nana », « ras le cake », « ça envoie du pâté », « à nous la peur »
utiliser la nomenclature rhétorique (avec une prédilection enthousiaste pour la métathèse, le contrepet,  la paronomase, l’apocope, la parodie, le calembour ou l’à peu près, et vomitive  pour la tautologie,  l’antimétabole ou le calembour aussi, en se tenant volontiers dans une région à la fois vomitive et enthousiaste) pour parler de ceux qu’on aime et de ceux qu’on n’aime pas, ou utiliser les souvenirs de ceux qu’on aime pour parler rhétorique
parler d’humour sans jamais ou presque utiliser le mot mais en étant toujours enjoué et assez souvent drôle
faire après Blondin (pas celui de Le Blon, la Blute et le Tluand, l’autle) l’éloge du « dégagement » (à une époque où l’engagement est une denrée exotique, n’est-ce pas donner trop de gages au régiment des néobienpensants ?) ou reprendre la devise acronymique de Stendhal (Se Foutre Carrément De Tout)
pousser de temps en temps des coups de gueule, contre par exemple les misérables petits salopards qui ont profané la tombe du matador Julio Robles, ou pour « demander solennellement  à la police parisienne de s’excuser de la mort ignominieuse d’Armand Robin », le 29 mars 1961
bricoler des bouquins de bruc bric brac brec et broc, qui partent dans tous les sens mais forment une unité d’autant plus sensible qu’extrêmement improbable et d’autant plus improbable que sensible et pas seulement intellectuelle  (cher lecteur ignorant, je suis heureux de te faire bénéficier de ma science toute fraîche en t’apprenant que cette dernière phrase est une antimétabole,  dans le genre « Proudhon a écrit Philosophie de la misère, moi Marx je vais montrer la Misère de la Philosophie », ou, plus modestement, « Il faut manger pour vivre,  et non pas vivre pour manger », approuvé d’ailleurs par l’anar comme par le coco)

2.Contre-indications

Ce médicament  NE DOIT PAS ÊTRE UTILISÉ en cas d’antécédents de réaction allergique  aux calembours, aux contrepets, aux blagues scatologiques ou autrement calamiteuses. Les patients sujets au bon goût feraient mieux de ne même pas regarder la quatrième de couverture, sur laquelle « l’auteur » a l’insolence de s’exhiber avec des lunettes à faire concurrence à la télé.

L’effet sur les femmes enceintes  ou allaitantes  n’a pas encore été testé [pour la prochaine édition de cette notice, n’hésitez pas à faire part de vos observations à nos laboratoires Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ], mais on peut dores et déjà le déconseiller formellement aux admirateurs de Char, Péguy, Claudel, Céline, Genet ou Breton (en ce qui concerne ce dernier, on connaît au moins un cas de partisan presque inconditionnel qui a quand même beaucoup aimé le livre de Claude Meunier et «consent à pardonner aux membres de la famille quenouillard ce qu’il pardonne à l’objet de leur admiration »)

3. Comment prendre le petit abécédaire du Rire et de ses environs ?

Toutes les posologies sont bonnes, pourvu qu’elles soient adaptées au lecteur : si vous êtes du genre qui comprend vite mais à qui il faut expliquer longtemps, un paragraphe par jour peut être suffisant ; si vous êtes un lecteur RER-métro,  des doses quotidiennes de plusieurs pages sont tout à fait envisageables ;  si vous êtes un « gros » lecteur, vous n’en ferez peut-être qu’une bouchée – métaphoriquement parlant, bien entendu -, mais comme ce genre de livre touzazimuts ne favorise guère la mémorisation, il vous faudra relire et rerelire de nombreux passages ; …

Dans quel ordre lire ces réflexions-évocations aphoristiques ? Là encore,  c’est une question de tempérament :  ceux qui lisent en diagonale et en zigzag de gros romans éprouveront peut-être  le besoin de lire ce court pseudo-traité de A jusqu’à Z.

4. Comment ne pas prendre le petit abécédaire du Rire et de ses environs ?

Le titre peut faire penser à un livre gaiement savant, dans le genre de l’excellent Les mots du comique et de l’humour de Christian Moncelet (Belin, 2006), et il n’est pas exempt de préoccupations savantes,  tendance  rhétoricien et plus précisément rhétoricien de ce qui fait sourire ou rire – qui passe souvent par les jeux avec les mots mais plus rarement, en tout cas de nos jours, par les jeux avec  les  discours -, mais il ne faut pas y chercher un traité, même éclaté, sur le rire « et ses environs » : les rares réflexions théoriques sur le rire se tiennent dans les limites d’un bergsono-freudisme qui est la tarte à la crème sans crème et modérément pâtue de la gélologie française ; les réflexions sur le trop de légèreté  et de « fun » de l’art contemporain sont un peu très légères ; les réticences  quant à l’esprit de Guitry ou à l’esprit français, venant de quelqu’un qui est très clairement atteint  de notre calembourite  aigüe nationale, sont assez étonnantes ; réduire Swift à un satiriste et un pamphlétaire est un peu … réducteur, de même que rapporter au rabaissement burlesque le plaisir comique que donne un texte comme La passion considérée comme une course de côte, ou ne voir que le côté idiot du brave soldat Chveïk ; le refus parapataphysicollégial  de réfléchir sur l’humour et a fortiori la poésie humoristique ne contribue pas trop à nettoyer et rendre un peu de verdeur à la langue de bois théorique qui recouvre toutes ces questions (Monsieur Prudhomme ajouterait sans doute : comme une chape de plomb).

Non, en tant que livre profond, il est assez superficiel, mais en tant que livre superficiel, il ne manque pas de profondeur (encore une antimétabole ! ). CM excelle par exemple à montrer les  finesses des blagues les plus évidemment idiotes.  Ce qui est distinctif, et très rare, beaucoup trop rare, c’est que les soucis de taxinomie gélorhétorique ne sont pas le but mais un moyen seulement. De quoi ? dire des étonnements, évoquer des moments de connivence, célébrer  et faire partager des inventions réjouissantes, faire le portrait hypercubiste d’une famille de fous pas si fous et bien sympathiques.

5. Faut-il recommander ce médicament à vos amis ?

Bien sûr, ceux qui se seront reconnus dans le deuxième paragraphe de cette notice et en général les durs du zigo – en grec « agélastes » – feront mieux de préférer ne pas. Pour les autres – dont je suppose que vous faites partie si vous êtes arrivés à descendre ce texte jusqu’ici -, la réponse est : OUI ! Et nous ajouterons en toute simplicité biblique qu’un Christ qui saurait multiplier  ce genre de Meunier – dont le moulin va si vite alors qu’il ne dort pas – serait accueilli  à bras ouverts et table dressée.

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